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Biographie longue de Fred Forest

Fred Forest , de l’art sociologique à l’esthétique de la communication et pour une éthique dans l’art

Fred Forest a une résonnance très forte dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.

Il est né à Mascara en Algérie le 6 juillet 1933. Il n’a jamais fait d’études secondaires, n’a jamais fréquenté une école d’art, ni une université. D’une famille de Pieds noirs modestes, il a dû travailler très tôt pour gagner sa vie et faire vivre sa famille. Fred Forest débute sa carrière comme agent de base des Postes et Télécommunications, ce qui le conduira aux fins fonds de la Kabylie et à la frontière marocaine à Nedroma, tout en exerçant des activités de peintre amateur. Esprit curieux, il s’adonne avec passion à la lecture et son écrivain d’élection est Albert Camus avec qui il partage le même amour contrarié que Salamano pour son chien. Il sera très fier quand l’Echo d’Oran publie de lui une critique qu’il a écrite sur le livre La Chute d’Albert Camus.

On peut dire que Forest a eu deux vies. La première en Algérie jusqu’à l’âge de trente ans, où, petit fonctionnaire, il partage une vie familiale de plaisirs simples avec de nombreux cousins et cousines. 
Avant de voir sa vie perturbée par des attentats qui se multiplient et de devoir quitter du jour au lendemain ce qu’il considère encore comme son premier pays. Rentré en France, la rage au cœur, il assume sa vie d’exilé et se lance à corps perdu dans le travail de manière à combler tous les déficits culturels emmagasinés durant une jeunesse insouciante et heureuse. Il multiplie ses visites de musées et les conférences à la Sorbonne. Se connaissant d’un tempérament réservé, il s’étonne lui-même désormais de son audace pour interpeller des gens comme Cohn-Bendit en 1968 à la Sorbonne. Sa fibre d’artiste amateur trouve à se traduire professionnellement d’abord comme dessinateur satirique pour des journaux comme Les Echos ou Combat. Rapidement, il participe à des expositions en groupe à la maison de la Culture (Paris, 1962), ou à la Galerie Ligoa Duncan (New York, U.S.A., février 1965).

Cette démarche atypique témoigne déjà d’un intérêt poussé et appuyé pour tout ce qui touche aux médias et à la communication, et c’est là, logiquement, que sa pratique artistique s’accomplit, complétée dans un second temps par d’autres activités professionnelles auxquelles il se destine comme celles de l’enseignement. Il exerce sa pratique parallèlement à un emploi de téléphoniste au central des PTT situé rue des archives à Paris, qui lui permet de faire vivre sa famille résidant alors en HLM en banlieue à l’Haÿ-les-Roses. L’essor exponentiel des nouvelles technologies de communication aiguise sa réflexion et, dans le cadre d’une production artistique, Fred Forest est l’un des tout premiers (si ce n’est le premier) à intégrer ces nouveaux supports. Ainsi, dès 1967, il utilise le Portapak de Sony, un des premiers enregistreurs vidéo portables disponible pour le grand public, qu'il obtiendra auprès de Sony en tant que prototype pour créer deux œuvres d’art vidéo : La Cabine téléphonique et le Mur d'Arles. En 1969, il conçoit et met en place des environnements particuliers, à la fois interactifs et participatifs où, par le biais de moyens de communication aussi divers que le téléphone, le minitel ou la robotique, il amène le spectateur à s’interroger, que ce soit sur son rôle d’observateur ou sur celui d’acteur.

Il est remarqué au cours d’un colloque par un inspecteur du Ministère de la culture chargé des enseignements nommé Alexandre Bonnier qui lui propose d’une façon tout à fait inattendue, ainsi qu’à Michel Journiac, après les avoir invités tous les deux chez lui, de faire le nécessaire s’ils désirent rejoindre l’enseignement.  Cette admission ne sera pas facile et demandera de longs mois d’attente. Tout ceci n’est pas anodin. La période de 1968, plus qu’une révolte de la jeunesse, témoigne, en effet, d’une crise structurelle de l’Occident industrialisé, dont les mouvements de mai ne sont que les signes avant-coureurs de changements radicaux au sein même de la société. Parmi eux, les médias, qui connaissent une évolution remarquable tout à fait exceptionnelle, amènent Fred Forest à s’interroger sur le rôle qui est le leur désormais.
En 1972 Fred Forest réalise son premier espace blanc (un « Space Media ») dans le quotidien Le Monde dont le succès médiatique lui confère du jour au lendemain le statut d’un artiste reconnu. Cette promotion lui permet de rejoindre un poste d’enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts  de Cergy, ce qui va changer les conditions mêmes de sa vie en lui offrant un travail qui désormais fait du sens pour lui. Commence alors pour lui, une longue série de faits positifs … Dont la visite à Paris du Professeur Vilém Flusser venu pour le recruter au titre de la XIIème Biennale de São Paulo dont l’existence lui a été signalée par René Berger spécialiste de la vidéo qui a connaissance de ses travaux de pionnier de ce medium...

Les actions de Fred Forest en 1973 dans le cadre de la Biennale de Sao Paulo sont révélatrices de cette prise de conscience de l’importance et de l’influence des médias au sein de la société. Une historienne de l’art Cristina Freire admettra que c’est lui qui, le premier, a introduit le « vidéo art » au Brésil. Cherchant, grâce au soutien des journalistes Brésiliens, à aménager des « espaces » de liberté au sein de médias contrôlés par un appareil d’Etat militarisé, il se voit rapidement arrêté. Mais cela ne freine en rien son activisme naturel, à imaginer d’autres sortes d’actions. L’évènement aussi important soit-il ne s’arrête jamais là pour lui. Relayées par les réseaux d’information du monde entier, les actions de Fred Forest prennent une ampleur réelle et conséquente. Tout en secouant le régime Brésilien, elles vont lui permettre de bénéficier de la renommée qui va de pair avec le Grand Prix de la communication qui lui est remis par la XIIème Biennale de Sao Paulo, le consacrant ainsi comme un artiste politique de toute première importance.

Ses réalisations d’ordre sociologique et critique telles que « Portrait de famille » à l’Haÿ-les-Roses en 1967 le campent déjà comme un pionnier de l’art participatif et sociologique bien avant la Création du Collectif d’art sociologique qui suivra en 1974, créé avec deux artistes plus jeunes que lui : Hervé Fischer et Jean-Paul Thénot. En aîné, il introduit au sein du Collectif l’utilisation de la vidéo et des expériences de presse que Fischer poursuivra beaucoup plus tard à son propre compte après 1980 lors de la dissolution du Collectif d’art sociologique.

C’est à travers une succession de manifestes que l’art sociologique tente de se définir en tant que mouvement et en tant qu’action. Les manifestes du Collectif d’art sociologique témoignent ainsi des intentions du mouvement et de la manière dont celui-ci se perçoit par rapport au monde des médias de communication dans lequel il est étroitement imbriqué.

En ce qui concerne la constitution du Collectif d’art sociologique il est utile de mentionner ici que sa création est intervenue deux ans après les diverses actions médiatiques spectaculaires que Fred Forest avait déjà réalisées au cours de la XIIème Biennale de Sao Paulo qui lui valurent le Grand Prix de la communication. Le nom même d’art sociologique relève de sa paternité. A son retour, à la recherche d’artistes ayant une pratique critique en vue de constituer un groupe, il prendra contact avec Hervé Fischer qu’il avait croisé au Salon Comparaison où il exposait son « Essuie main » et où lui-même avait mis en cause directement le Ministère de la culture sous le nom d'« Enquête » car ce dernier faisait endosser par les artistes des frais à des firmes privées installées au Grand Palais dont le Ministère était en fait redevable ...

Publié dans le Journal Le Monde, le 10 octobre 1974 :

« Le Collectif d’art sociologique constate l’apparition d’une nouvelle sensibilité au donné social, liée au processus de massification. Les cadres actuels de cette sensibilité ne sont plus ceux du rapport de l’homme individualisé au monde, mais ceux du rapport de l’homme à la société qui le produit. »

Hervé FISCHER, Fred FOREST, Jean-Paul THÉNOT

Cette fracture avec la démarche classique de l’artiste face au monde se trouve illustrée par la performance/action vidéo de la même année. Le « Portrait d’un collectionneur » établit, en effet, dans une narration parodique, le rapport de l’artiste au portrait.
Il s’agit, dans cette démarche, d’un croisement de genre, entre performance et art vidéo. L’œuvre que met en vente Fred Forest est constituée d’une pellicule filmée, mais celle-ci n’existe alors pas encore : elle est vierge, inutilisée, jusqu’au moment où un acquéreur potentiel se manifeste en enchérissant sur une œuvre qui n’est donc, jusqu’à ce stade, que supposée. Dès lors, Fred Forest filme, observe autant qu’il révèle, le spectacle des enchérisseurs qui se succèdent. Est ainsi révélé le rôle social d’une œuvre d’art, à travers les actions des acquéreurs, hommes réputés de goût et de prestige, filmés ici sans complaisance mais non sans humour.
C’est dans son rapport avec la société qui l’entoure que l’artiste Fred Forest situe sa démarche encadrée par le mouvement de l’art sociologique. Mais, il ne s’arrête pas là.

Publié dans le catalogue du musée Galliera, Paris à l’occasion de l’exposition du Collectif d’art sociologique :

« Le projet de l’art sociologique, c’est en fin de compte d’élaborer la pratique sociologique elle-même »

Hervé FISCHER, Fred FOREST, Jean-Paul THÉNOT

Dès le début, il s’agit de ne pas confondre la sociologie de l’art et l’art sociologique. Là où la première étudie les arts dans ses implications et significations dans la vie sociale, distinguant ainsi deux catégories : une sociologie des artistes et de leurs milieux spécifiques, et une sociologie où les arts sont perçus comme des vecteurs communs à toute la société, la seconde obéit à une définition plus complexe. En effet, c’est en entretenant un rapport dialectique avec la sociologie, et non pas en représentant une discipline particulière de celle-ci, que s’illustre l’art sociologique.
La définition se tient peut-être bien, au fond, dans cette inversion de l’ordre des noms, et l’art sociologique représente un questionnement, une confrontation par l’art de la science sociologique. Il s’agit de mettre celle-ci face à la réalité de ses observations en utilisant les productions artistiques comme vecteurs d’informations et d’observations du contexte social dans lequel se situe l’œuvre d’art.

Cette démarche est appuyée peu après, par l’exposition de Fred Forest New-Media N° 1 au Musée de Malmö (22 mars -19 mai 1975). L’action d’observation sociologique et celle qui illustre cette idée à l’aide de moyens propres à l’art, se complètent tout en étant axées toutes les deux sur une production artistique de questionnement et de considération.
La participation du public est requise et constitue pour moitié la réalité de cette œuvre qui interroge la divergence et l’accointance de deux espaces distincts, rejoints par le truchement de caméras et d’écrans par les actions des participants qui tentent chacun de reconfigurer cet espace, feutres en main, dessinant sur les écrans cathodiques. Ainsi, c’est la manière dont la médiatisation du public fait se réunir deux espaces distincts par une intervention dessinée au feutre directement sur l’écran qui est ici illustrée.

Publié dans le catalogue international de la 37ème Biennale de Venise par le Collectif d’art sociologique, juin 1976 :

« La stratégie de l’art sociologique vise à s’appuyer sur la permissivité des institutions artistiques, pour élargir son activité à une pratique sociologique beaucoup plus vaste que la catégorie d’art. Il s’agit de s’emparer du pouvoir des institutions en place soit en s’appuyant sur quelques-uns des hommes qui y exercent des responsabilités, soit grâce à la logique du pouvoir acquis, pour détourner ce pouvoir. Et si possible, déborder les processus de neutralisation de notre action qu’opère en principe le cadrage institutionnel du micro milieu élitaire, et retourner ce pouvoir contre le système institutionnel que nous voulons questionner. »

Hervé FISCHER, Fred FOREST, Jean-Paul THÉNOT

Opinion et idée d’action illustrées par la vidéo-performance que constitue « La photo du téléspectateur » réalisée par Fred Forest le 13 novembre 1976, consistant en une performance en direct, utilisant le moyen de communication médiatique que représente une émission de quarante minutes que lui consacre Jean-Paul Trefois sur la R.T.B (Radio Télévision Belge).
La dénonciation par l’artiste, au cours de l’émission, de l’instrumentalisation des masses que représente la télévision, trouve ici son application. Simulant le rôle du photographe, il « manipule » le téléspectateur en lui demandant, par écran interposé, de se déplacer légèrement, de telle ou telle manière, afin de bien le cadrer dans son objectif, et cela malgré l’impossibilité technique de la démarche, dont la validité toute entière repose sur ce pouvoir d’asservissement des mass-media déjà mentionné plus haut.

Publié le février 1977 :

« Le collectif d’art sociologique refuse une société où l’art est de l’argent et où l’argent est divin. Par sa pratique interrogative et critique, à l’opposé de l’art marchandise et de la culture de consommation, il questionne la conscience sociale »

Hervé FISCHER, Fred FOREST, Jean-Paul THÉNOT

En janvier 1980 Fred Forest publiera dans le quotidien « Le Monde » à son compte - étant le seul à le signer - le dernier Manifeste du Collectif d’art sociologique (ACTE II) qui introduit la notion de RELATION que Nicolas Bourriaud reprendra une dizaine d’années plus tard. Ce dernier manifeste signe, la page de l’art sociologique tournée, l’entrée de Fred Forest dans l’esthétique de la communication en compagnie du Professeur Mario Costa de l’Université de Salerne.

L’action du Mètre carré artistique, réalisée dès 1977 par Fred Forest témoigne d’une opposition au marché de l’art et à ses rouages. Il utilise les codes du monde économique en créant devant notaire, une société immobilière factice dite du mètre carré, et en utilisant les médias publicitaires (via un encart dans Le Monde) pour se faire connaître. Cette société procédera à l’achat, à la frontière suisse d’un terrain de 5m sur 4m qui sera divisé par un géomètre en 20 parcelles d’un mètre carré. La question est posée ici sur la validité et la connaissance de ce qui constitue une œuvre d’art, ces deux aspects n’étant pas à la portée de n’importe qui, et certainement pas du gendarme, sur place, qui déclare dans le constat qu’il adresse au Procureur de la République, que ce terrain n’a rien d’artistique. Procédure que Fred Forest récuse immédiatement devant les inspecteurs de police qui l’interrogent sur ordre du Procureur de la République, arguant qu’un adjudant de gendarmerie n’a aucune formation, ni qualité, pour juger de la valeur artistique ou « non-artistique » d’un objet. Qualité qu’à contrario, lui, possède bien comme artiste, qui affirme en conséquence et en contradiction du constat dressé par le brigadier de gendarmerie que ce terrain est bien artistique. Mis à la vente, dans une vente aux enchères par Maître Binoche, celui-ci se verra interdire par la Chambre de discipline des commissaires priseurs  la vente de ce mètre carré artistique. Reprenant l’appellation de mètre carré, l’artiste vendra finalement pour la somme de 6 500 Frs un « m2 non-artistique » sous le marteau de Maître Binoche et sous la forme d'un banal morceau de tissu d'un mètre sur un mètre. Bien entendu, l’utilisation à plusieurs reprises par Forest des salles de vente publiques ne vise nullement un gain qu’il en attendrait mais uniquement un cadre pour mettre en scène son événement.

A bien des égards, Fred Forest est à la fois autant un acteur qu’un témoin des changements de la société moderne et de ses réseaux de communication et d’information, amorcés en 1968 et encore d’actualité aujourd’hui. La création du Collectif d’art sociologique correspond à cette démarche de nature artistique mais fortement ancrée dans un contexte sociologique précis. Ainsi, c’est par le biais de créations artistiques que le mouvement tend à illustrer, autant qu’à confronter, des observations de nature sociologique correspondant au rôle des médias dans une société au sein de laquelle les moyens de communication et de circulation de l’information n’ont jamais été aussi importants.
Cette interrogation des médias ne s’arrête pas là et, actuellement, c’est le grand vivier de l’Internet qui retient l’intérêt de Fred Forest, toujours dans cette démarche de confrontation et d’interrogation.

Fred Forest n’a pas fait un parcours classique dans l’art. De cette situation, il lui en est peut-être resté une distance permanente avec l’histoire de l’art et aussi un esprit de rébellion vis à vis des institutions. Outre sa propre création, Fred Forest croise le fer, et part en guerre contre le Centre Pompidou et manifeste en permanence sa vocation de dérangeur dont la Bnf, l’Ina, le Ministère de la culture font les frais. Très vite dans son itinéraire artistique, le besoin de défricher des territoires inconnus se manifeste.
De l’art sociologique au numérique, infatigable acteur, il se confronte, au fil des années aux nouvelles technologies de l’époque : ainsi il sera un des pionniers de l’art vidéo. Trente ans plus tard, il s’empare avec boulimie de l’ordinateur et de l’internet...

Omniprésent sur la toile, il confirme sa vocation d’agitateur permanent. Cela n’a pas dû toujours plaire aux milieux institutionnels de l’art qui le privent de tous moyens et font tout pour l’occulter et l’isoler. Mais c’est sans compter sur la détermination de l’artiste à l’imagination fertile qui remonte toujours comme un ludion à la surface. Ajoutons qu’au-delà de ses qualités à proprement parler d’artiste ce serait une grave erreur que de négliger ses dons naturels et pratiques de stratège de la communication. Qui lui valent le surnom de l’Homme media N°1  ou encore de Citizen Forest sous lesquels il communique sur le réseau Nettime un des tous premiers réseaux internationaux. N’oublions pas que durant trois années consécutives il a dirigé la Chaire de l’art et de la communication de l’Université de Nice …

http://www.fredforest.org/drouot/seminaire.html

Nous nous souviendrons que rentré d’Algérie en 1962 à trente ans avec pour seul viatique dans sa valise un Certificat d’Etudes primaires, en 1985 il soutient avec un succès mémorable un Doctorat d’Etat en Sorbonne, le premier en France qui utilise un dispositif et une régie vidéo pour sa soutenance …

Son appétence pour les médias se révèle aussi, entre ces deux repères chronologiques, par tous les autres territoires investis : le téléphone, la radio, le slow-scan, la télévision, le câble, les journaux lumineux à diodes électroniques, le minitel, la robotique, les réseaux télématiques … En ce qui concerne les réseaux il sera encore là, le tout premier, en utilisant en 1983 le réseau minitel expérimental de Vélizy pour son action lors de l’exposition Electra : une installation « L’espace communicant » au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris où il met en œuvre 40 lignes de téléphone et Radio Monte Carlo.

Art vidéo, art sociologique, art de la communication, art interactif : comment cerner Fred Forest ? Gardons comme moment inoubliable, en 1973 à Sao Paulo, sa manifestation « Le blanc envahit la ville », les manifestants brandissant des pancartes… blanches avec le régime militaire de l’époque à ses trousses.

L’artiste fort du statut acquis lors de la XIIème Biennale, avec sa manifestation dans les rues de Sao Paulo, critique le régime militaire en place et dénonce l’atteinte aux libertés fondamentales. L’appui des médias de masse et la complicité active des artistes et des intellectuels brésiliens en feront un événement international… C’en était trop. Cette fois, Fred Forest a bien été cerné par la police militaire. Il sera conduit et interrogé au DOPS (département de la police politique) durant quatre heures.
Il semble que ce jour-là Fred Forest ait répondu à la question souvent posée : « L’artiste, à quoi sert-il, que fait-il là ? » 

L’indigné de l’art

Depuis ces années, Fred Forest n’en est pas resté là. Plus récemment encore, en 2010, il crée l’incident avec son projet de performance TRADERS BAL à New York s’infiltrant dans la crise boursière jusqu’à Wall Street avec son action de contestation au MoMA dont Ruth Erickson rendra compte dans la presse avec les indignés de l’art. Fred Forest est interpellé par le service de sécurité du MoMA qui lui signifie l’interdiction de procéder à sa performance qu’il vient à peine de commencer, sous peine de son arrestation immédiate par la police New-Yorkaise.

Performance/média, le 2 Septembre 1995 21h30

Médias croisés et réseaux interactifs pour le Centenaire du cinéma et de la radio : « De Casablanca à Locarno - L’Amour revu par Internet et les médias électroniques »

Un programme expérimental interactif de Fred Forest réalisé par la RTSI – Radiotélévision Suisse Italienne en collaboration avec le Vidéoart Festival, mis en œuvre sur le plateau du Théâtre de Locarno.
La performance multimédia vise à impliquer la participation des publics à travers des moyens de communication de masse (Télévision RTSI + Radio Rete 3 + Réseau téléphonique + Internet).
Le Théâtre de Locarno constitue dans le dispositif le lieu physique et géographique de l’action qui s’inscrit dans l’espace informationnel. Avec la gracieuse participation de :
Ingrid Bergman, Humphrey Bogart, Paola Pitagora, Graziano Mandozzi, Mario Sasso et de tous les publics concernés, directement ou indirectement, par l’existentielle question de … l’Amour! Saisissant l’occasion du centenaire du cinéma ce projet a pour but de réaliser une performance médiatique et spectaculaire ayant pour propos d’associer le cinéma et la radio dans un événement original et inédit. Cet événement constituera un hommage vibrant que leur rend le 16ème Vidéoart Festival de Locarno.
Cette performance multimédia vise à impliquer directement la participation du public à travers les moyens de communication de masse (Radio  + Télévision), via le réseau téléphonique et le réseau Internet. Dans le dispositif le Théâtre de Locarno constitue le lieu physique et géographique de l’événement. La scène est agencée comme un plateau de télévision et de radio à partir duquel l’émission est lancée en direct et où l’artiste assure l’animation et la présentation de l’action, tout au long de son déroulement.

Télévision + réseau téléphonique + réseau Internet, plateau (Théâtre Locarno), diffusion du film (ou de la séquence) sur RTSI. La télévision diffuse le film sans le son, des indications écrites défilent au bas de l’écran en permanence. Ces indications informent les téléspectateurs sur leurs possibilités et les modalités de participation. Ils doivent se reporter simultanément sur la fréquence radio dont le numéro de téléphone est communiqué. La radio assure l’animation des appels successifs.
Le public dispose de 30 secondes dans la continuité des images pour, à leur place, se substituer aux paroles des acteurs. Un fond musical a été substitué à la bande sonore du film. La régie intervient pour monter ou descendre le niveau du son en s’adaptant en temps réel aux interventions des correspondants téléphoniques sélectionnés, mis en attente et balancés sur l’antenne les uns après les autres.

Fred Forest remplit les « blancs » éventuels en intervenant en direct sur l’antenne, soit en parlant, soit avec un générateur de caractères, souvent avec les deux.
Dans ce dispositif réalisé en 1995, l’artiste assure une performance médiatique dont la mise en scène s’effectue sur la scène du théâtre aménagée en plateau de télévision et en station de radio. La performance est constituée par la présentation de l’émission et son animation. Le dispositif technique comprend 3 caméras, un générateur de caractères, une liaison avec le studio de diffusion, une série de six cabines téléphoniques, un grand écran et un mur de TV.

De ces inventions dont vous trouverez sur ce site leur énumération au long des 250 vidéos qui illustrent son activité, nous retiendrons pour finir en vous les signalant pour ne pas les rater ces trois actions emblématiques :

1991 - Fred Forest Président de la TV Nationale Bulgare

1993 - Les Miradors de la Paix

2021 - La banane invisible

Fred Forest qui ne fait rien comme les autres, s’est marié dans la vraie vie et sur Internet en 1999 avec l’artiste Sophie Lavaud pionnière de la réalité virtuelle, des technologies digitales et des expérimentations entre art et sciences. Ils ont un fils, Adrien, qui a aujourd’hui 26 ans, a pris son ordinateur portable sous le bras dont il a fait son bureau permanent, où qu’il soit, et s’est posé aujourd’hui en Thaïlande.

Fred Forest qui nous a chargé de rédiger sa biographie, les remercie très vivement tous les deux pour l’aide continue qu’ils lui ont apportée pour réaliser son œuvre.

A 90 ans Fred Forest se félicite de n’avoir eu jamais aucun compromis à ce jour avec le marché de l’art au cours de ses cinquante années consacrées à sa carrière. Et il nous promet encore de nous étonner !

" Quand j’étais plus jeune je ne comprenais pas pourquoi les responsables de mon époque me négligeaient ou me tenaient ainsi à distance. J’ai compris, depuis, qu’ils valorisaient des artistes - dont beaucoup ont disparu depuis dans l’oubli - car comme beaucoup de responsables ils étaient incapables de mettre leur montre à l’heure du temps où nous vivions. Ce phénomène de décalage n’est pas nouveau et il se retrouve souvent dans le domaine des sciences. D’autre part ils me tenaient à distance faisant mine de m’ignorer totalement pour tout ce que j’avais d’inconvenant à leurs yeux. A savoir d’abord mon mépris affiché pour l’argent et secondement mon énergie mise à dénoncer, tout au long de ma vie d’artiste, la collusion de mes contemporains avec les tenants du pouvoir, l’hypocrisie dans laquelle baignent les tenants des rênes culturelles. Nul ne peut prétendre pourtant m’avoir jamais entendu proférer des paroles de colère contre mes ennemis les plus virulents, préférant les traiter par l’humour ou l’ironie. Me faisant même une sorte de malin plaisir à leur monter des traquenards imaginatifs, autant qu’il m’était possible... J’ai réussi à m’imposer à mon niveau sans jamais faire partie du marché de l’art ce dont je ne suis pas peu fier.

Je ne regrette rien de ce qu’a été ma première vie (En Algérie) ni de la seconde (Sur le territoire Français) que j’assume ici totalement.

Comme artiste, je quitterai ce monde, bénéficiant de l’aura d’une intégrité inégalable en France par tout autre artiste vivant et de celle d’un pionnier ayant introduit successivement dans la pratique artistique l’utilisation du téléphone, des encarts dans la presse écrite, de la vidéo avec le Portapak, un prototype encore non commercialisé en 1967, du slow scan, des journaux à diodes électroniques, de la radio, du câble, de la TV, du Minitel, de l’Internet, de Second Life, du digital, des NFT, j’ai écrit une dizaine de livres et créé deux mouvements artistiques, dont celui de « l’art sociologique » et celui de « l’Esthétique de la communication ». En 1973 pour la Biennale de Sao Paulo je me suis vu décerné le Grand Prix de la communication pour une série d’actions mettant en cause le régime militaire qui ont conduit à mon arrestation par la police. En 1993, j’ai installé tout en haut d’une montagne dominant Sarajevo « Les miradors de la paix » : trois tours d’une cinquantaine de mètres de haut munies de haut-parleurs qui diffusaient en temps réel, en ces temps de guerre, des messages téléphoniques de paix en provenance du monde entier. Enfin, à des dates différentes dans trois villes à Angoulême, Vienne (Autriche) et Toulon, je mets en œuvre une animation de communication utilisant des journaux nationaux, des radios et des TV pour une opération de recherche d’un personnage qui n’existe pas... Cette action participative prend pour champ expérimental des zones urbaines et régionales entières, comme le tableau et la toile d’hier, qui pour l’artiste s’élargissent à ses dimensions nouvelles. J’ai créé également une bonne centaine de sites web et le premier musée d’artiste en ligne : le webnetmuseum.org. J’ai représenté la France à la XIIème Biennale de Sao Paulo, à la documenta 6 de Kassel et à la Biennale de Venise en 1976.

Je n’ai jamais eu de Galerie. J’ai mené une campagne nationale en 1991 soutenu par les forces d’opposition en Bulgarie à l‘occasion de ma candidature pour le poste de Président de la Télévision Nationale. J’ai gagné ma vie parallèlement pour nourrir ma famille, d’abord pour une vingtaine d’années comme agent des postes, puis comme professeur, satisfaisant là mon goût pour la pédagogie et les échanges intellectuels.

Enfin, il me semble réaliste de penser - compte tenu de ce qu’il me reste de temps à vivre, hélas !- que, faute de temps, je ne parviendrai pas à réaliser mon vœu le plus cher qui consiste à redonner aux artistes un vrai statut de reconnaissance sociale. Un statut qui se situe au-delà de l’art, l’artiste comme agent de rayonnement symbolique et spirituel. Un statut supérieur à tous les autres. Mais encore faudrait-il que les artistes le méritent… et cela, c’est encore une autre histoire !😄"

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Fred Forest est un artiste, stratège de la communication, des médias et des réseaux, pionnier de l’art vidéo, de l'art numérique et de la blockchain.

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