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1983

Esthétique de la communication

En 1983, à l’occasion d’une manifestation culturelle sur la vidéo que Mario Costa organise en Italie, il lance avec Fred Forest le Mouvement de l’Esthétique de la communication à Mercato San Severino. Une dizaine d’années plus tard Nicolas Bourriaud propose l’Esthétique relationnelle, sans allusion aucune aux principes de base élaborés dix ans plus tôt par l'Esthétique de la communication ...

Sociologique  Communication  Critique et Éthique 

1986

ARTCOM ENSBA Synthèse

1983

Le sublime technologique - Séminaire 1 Nice

1983

Le sublime technologique - Séminaire 2 Nice

ARTCOM ENSBA Synthèse
1986
ARTCOM ENSBA Synthèse
Le sublime technologique - Séminaire 1 Nice
1983
Le sublime technologique - Séminaire 1 Nice
Le sublime technologique - Séminaire 2 Nice
1983
Le sublime technologique - Séminaire 2 Nice

Sommaire :

1983 Esthétique de la communication

En 1983, à l’occasion d’une manifestation culturelle sur la vidéo que Mario Costa organise en Italie, il lance avec Fred Forest le Mouvement de l’Esthétique de la communication à Mercato San Severino. Une dizaine d’années plus tard Nicolas Bourriaud propose l’Esthétique relationnelle, sans allusion aucune aux principes de base élaborés dix ans plus tôt par l'Esthétique de la communication. Très vite l’initiative de Mario Costa et de Fred Forest aboutit à la création d’un groupe international. Celui-ci réunit, sous leur égide, les artistes et théoriciens suivants : Roy Ascott, Jean-Claude Anglade, Roberto Barbanti, Stéphan Barron, Bure Soh, Marc Denjean, Eric Gidney, Jean-Pierre Giovanelli, Philippe Hélary, Nathan Karczmar, Derrick de Kerckhove, Tom Klikowstein, Jean-Marc Philippe, Michel Saloff-Coste, Wolfgang Ziemer-Chrobatzek. Par une série de conférences, colloques, manifestations diverses sous le nom d’Artmedia au sein de l’université de Salerne, conjointement avec Fred Forest par ses séminaires à la Sorbonne et à l’université de Nice, ils donnent à ce mouvement toute sa représentativité internationale.

Vidéo avec la participation de Natan Karczmar, Vilém Flusser, Alain Snyers, Mario Borillo, Eric Samakh, Marc Denjean, Mit Mitropoulos, Claude Faure, Orlan, Eric Gidney, Christian Sevette, Jean-Claude Anglade, Pierre Moëglin, Jacques Pineau, Bernard Teyssèdre, Jean-Marc Philippe, Tom Klikovstein etc.

Manifeste de l’Esthétique de la communication de Fred Forest

http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo-retr-fredforest/textes_critiques/textes_divers/4manifeste_esth_com_fr.htm#text

Nicolas Bourriaud qui occupe différents postes institutionnels, notamment au Ministère de la culture (DAP) et entretient des liens parfois financiers avec certains éditeurs, obtient avec facilité la publication de son livre lui assurant une large diffusion internationale.

Le Consortium, fondé en 1977 par Xavier Douroux et Franck Gautherot (rejoints en 1995 par Eric Troncy), est l'un des premiers centres d'art contemporain français, conventionné par la Délégation aux Arts Plastiques du Ministère de la Culture depuis 1982. Le chef de l'Inspection de la création artistique au ministère de la Culture obtient les plus grandes facilités pour la publication de son livre puisque ces gens-là ne sont autres que les Editeurs des Presses du Réel qui fonctionnent essentiellement avec les subventions publiques que leur accorde la DAP…

Nous nous nous sommes adressés à ces éditeurs des dizaines de fois, sans obtenir la moindre réponse. Ce principe est hélas coutumier et généralisé dans ces années là, dans les fonctionnements de l’art contemporain. 

1984 Manifeste pour une Esthétique de la communication

Fred Forest, artiste et Professeur des universités, titulaire de la Chaire des Sciences de l'Information et la Communication de l'université de Nice Sophia-Antipolis.

SOMMAIRE

  • Introduction
  • Esthétique de la communication et intervention sur la réalité comme activité symbolique et esthétique
  • Esthétique de la communication et art comme modèle de simulation face aux pouvoirs
  • Esthétique de la communication, nouvelles sensibilités et notion de relation
  • Esthétique de la communication et état de l'art dans notre société
  • Esthétique de la communication, participation, interactivité et systèmes artistiques de communication
  • Les architectes de l'information
  • Esthétique de la communication et phénoménologie de l'imaginaire contemporain
  • Circulation des messages
  • Pratique artistique de la communication, esthétique de la communication et production de sens
  • Esthétique de la communication, perception de l'espace, perception du temps
  • Esthétiques de la communication, espace intérieur, préceptes Zen
  • Esthétique de la communication et crise de la perception
  • Esthétique de la communication, sensibilisation, sensualisation
  • NOTES

INTRODUCTION

Ce qui m'amène aujourd'hui à proposer les bases d'une nouvelle forme d'esthétique, l'Esthétique de la Communication, c'est le constat d'un grand décalage entre notre sensibilité d'homme engagé dans la société contemporaine et le discours dominant sur l'art qui y règne. Il me semble, en effet, que la majeure partie de la production artistique de notre temps, telle qu'elle est inspirée par le marché dans ses circuits institués, n'est plus en adéquation avec la sensibilité profonde des individus de notre époque. Cette production entièrement repliée sur des systèmes de références qui la renvoient au passé ne constitue presque jamais un langage spécifique au temps que nous vivons. Ce divorce est grave dans la mesure où il démontre que la pression économique est capable de susciter une production artistique étrangère aux préoccupations du temps, générée de manière artificielle par le " système de l'art ".

L'Esthétique de la Communication se positionne clairement sur ce terrain. Elle se situe au delà du système marchand et institutionnel. L'Esthétique de la Communication n'est pas une théorie philosophique du Beau, n'est pas une phénoménologie ou une psychologie expérimentale des perceptions, et encore moins un discours universitaire sur les Arts... Plus modestement, elle revendique le projet d'appréhender ce qui constitue pour une société donnée (la nôtre) à un moment donné de sa propre histoire, le monde qui lui est sensible. Selon l'étymologie, le mot " esthétique " désigne une connaissance du sensible. Il ne s'agit donc pas, pour nous, de disserter sur une catégorie abstraite. Il s'agit, plutôt, de chercher à comprendre comment ce monde du sensible affecte directement les individus que nous sommes. Même si nous n'en avons pas toujours conscience, l'esthétique de notre temps est bien une esthétique qui relève d'une sensibilité de communication. Un effort est nécessaire pour le constater car le monde qui nous est propre est encore celui qu'une acculturation millénaire nous a conditionnés à voir... Pour comprendre ce qui nous est sensible aujourd'hui, une esthétique de tradition uniquement philosophique ne suffit plus. Il faut procéder à un élargissement du champ. Il faut faire sauter les verrous universitaires, ses spécialisations, ses cloisonnements. L'Esthétique de la Communication telle que nous en esquissons les principes, ici, s'efforce d'intégrer des données relevant de la philosophie mais également des sciences humaines, des sciences exactes et de tout ce qui serait susceptible, sciences ou non, d'apporter une connaissance à son objet qui est le sensible. Nous vivons aujourd'hui dans un monde où tout est intimement imbriqué, un monde dans lequel les phénomènes biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux sont interdépendants. Pour tenter de toucher à la " sphère " du sensible, il faut mettre en oeuvre une approche systémique. L'optique discursive d'hier est incapable de nous satisfaire. Ce qui se joue à l'heure actuelle, même si nous ne le percevons pas toujours, c'est le renouvellement de notre concept de Réalité. A travers une modification progressive de nos systèmes de valeurs, de nos systèmes de pensées, de nos perceptions, nous passons sensiblement d'une vision mécaniste de la réalité à une conception holistique. Le monde de la communication, la structure en maillage des réseaux, des notions d'interactivité qui lui sont propres, nous introduisent dans d'autres types de schèmes mentaux. L'Esthétique de la Communication s'inscrit naturellement dans cette mouvance. Certains signes de la sensibilité contemporaine témoignent d'une dimension de caractère profondément spirituel. Les recherches les plus avancées en physique moderne réactivent les contenus des traditions mystiques les plus anciennes. De plus en plus, la notion d'objets séparés fait place dans notre conscience à une perception globale. La culture, elle-même, selon la terminologie de Marshall McLuhan devient une culture en mosaïque. Le rythme est plus important que l'objet qui le produit. La réalité qui nous entoure est vécue comme une danse ponctuée par des cycles d'informations. Dans certains moments de notre vie, particulièrement riches, nous ressentons ce synchronisme qui nous met en harmonie avec l'ensemble de l'univers. Comme si dans ces moments, précisément, toute forme de séparation ou de fragmentation de notre conscience se trouvait miraculeusement abolie. Selon Capra, " les parallèles entre science et mysticisme ne sont pas limités à la physique moderne ; ils peuvent être étendus, avec le même propos, à la nouvelle biologie systémique. Deux thèmes fondamentaux reviennent constamment dans l'étude de la matière vivante et inorganique; on les retrouve souvent dans les enseignements des mystiques: l'interconnexion et l'interdépendance universelles de tous les phénomènes, et la nature intrinsèquement dynamique de la réalité. L'idée des fluctuations considérées comme la base de l'ordre, introduite par Prigogine dans la science moderne, est l'un des thèmes principaux de tous les textes taoïstes (1)

En reprenant les principes de l'Art Sociologique, mais en les poussant plus loin, l'Esthétique de la Communication peut apparaître comme son prolongement naturel et logique. Principes que j'ai contribué à élaborer et à illustrer en leurs temps (2). Aujourd'hui, l'Esthétique de la Communication manifeste non seulement son intention d'élargir le champ exploré jadis, mais le souci d'en corriger certaines affirmations démenties par l'expérience. Sans vouloir en rien minimiser l'importance des facteurs sociologiques qui ont constitué à l'époque l'assise de nos prises de position théoriques, il s'agit maintenant de les relativiser et, surtout, de diversifier nos instruments d'analyse. L'Esthétique de la Communication situe son point de vue à un niveau plus globalisant. Il ne s'agit plus, restrictivement, du rapport de l'homme à la société, mais d'une manière plus ambitieuse de son rapport... au monde. Quant aux grands principes matérialistes affichés jadis, il faut savoir les nuancer dans une époque qui se prête mal aux affirmations définitives toute à la recherche d'un " supplément d'âme ". La crise qui nous frappe de plein fouet constitue une étape de transition plus propice à la prudence, aux doutes, aux interrogations. L'évolution des idées ces dix dernières années, les mutations technologiques, les bouleversements sociaux qui s'en suivent, l'appel religieux au sens large du terme, la fascination pour les mystiques orientales, la conscience écologique, créent un contexte différent. Après avoir connu à son apogée la société de production et de consommation, nous nous acheminons lentement, maintenant, vers cette société promise de Communication... Une société qui est à la recherche de ses nouvelles valeurs. Les comportements politiques des jeunes générations sont significatifs à cet égard. La contestation a déserté les campus. Mais ces signes ne doivent pas être interprétés trop hâtivement comme des signes négatifs de désintégration sociale et de démission politique. Il faut peut-être au contraire au delà des apparences considérer qu'il s'agit là d'une phase intermédiaire qui marque l'affranchissement de l'individu enfin délivré du poids des appareils et des idéologies périmées. Le sentiment de vide actuel n'est pas seulement un manque. Il est porteur de sa propre dynamique, de sa propre créativité. On change la société aussi en se changeant soi-même. Ce vide constitue un passage obligé vers autre chose d'informulé à cette heure. Et cet informulé dispose déjà de quelques points de repère.

Certes nos objectifs peuvent sembler suspects aux yeux de certains qui ne se priveront pas de manifester réserve et ironie. Les conversions ont toujours odeur de scandale. Qui aurait imaginé l'Art Sociologique sombrant sur le tard dans un mysticisme de pacotille ? Nos censeurs auront tôt fait, sans vouloir reconnaître la crise actuelle que traversent de nombreuse disciplines, de régler son compte à l'Esthétique de la Communication avant sa naissance même; cela en dépit de l'apparition de nouvelles problématiques et de nouveaux champs de savoir qui font référence d'une manière explicite à la subjectivité et à la métaphysique. De nombreux chercheurs remettent en question l'usage classique de la raison. Les interrogations autour des notions de vérité, d'expérience, de preuves, de méthodologie, se multiplient. Ceci n'implique nullement l'abandon de la rigueur scientifique pour une soumission à la pensée magique. René Thom, mathématicien moderne, auteur de la " Théorie des catastrophes ", dit du rationalisme que c'est une "déontologie de l'imaginaire " et qu'à " toute science quelle qu'elle soit, il faut superposer au réel phénoménal perçu des entités imaginaires, invisibles ou cachées ". Il précise, encore, que " ces entités imaginées doivent être soumises aux contraintes les plus déterminantes qu'il se puisse ". Il ajoute, enfin, " que la voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et du délire d'autre part, n'est ni certes facile ni sans danger mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité ". (3)

Ce que René Thom désigne comme " entités imaginaires, invisibles ou cachées " relève directement du sensible aujourd'hui.

Des catégories qui appartiennent bien au domaine d'investigation que nous nous proposons d'explorer. L'Esthétique de la Communication nous le répétons encore, a pour but d'appréhender dans notre société contemporaine en mouvement le monde qui lui est sensible. Notre façon d'appréhender la réalité est à la fois dépendante de notre façon de sentir et de la manière dont cette façon de sentir détermine une échelle de valeurs. Dans la période que nous vivons, les valeurs établies nous apparaissent souvent comme dévaluées, vidées de leur contenu. Elles appartiennent la plupart du temps à un passé révolu. Nous nous trouvons souvent dans l'impossibilité de nous reconnaître en elles. A l'image de notre environnement physique et mental, elles sont en instance de mutation. Des changements sociaux affectent en profondeur les courants de la société. Ils semblent converger dans une même direction celle d'un réajustement et d'une recherche d'une nouvelle vision du monde que notre sensibilité appelle. Les premiers changements témoignent tous d'un renouvellement de nos concepts mentaux; d'une façon différente d'être dans le monde. Il s'agit bien d'une question de valeurs auxquelles nous sommes en mesure de nous identifier. Dans un cadre de valeurs différentes, la technologie et l'économie deviennent elles-mêmes des instruments autres si la volonté écologique, par exemple, se substitue aux règles aveugles de compétitivité, de sur-consomation, de productivité et de gaspillages anarchiques. Les indices qui marquent ce climat de crise et de recherche sont intuitivement ressentis par notre sensibilité. Le monde se transforme en même temps que nous nous transformons nous-mêmes. Se trouvant très profondément lié à une intuition de caractère systémique dont les principes d'organisation dynamique affectent directement notre perception esthétique. Les premiers pas d'Armstrong sur la Lune suivis sur l'écran cathodique par des centaines de millions de téléspectateurs ressourcent notre émotion d'homme contemporain plus que ne peuvent le faire le sourire de Mona Lisa et les pinceaux de Leonardo aujourd'hui.

ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION ET ART COMME MODELE DE SIMULATION FACE AUX POUVOIRS

L'art entretient des liens avec la réalité sur laquelle il tente de peser pour en modifier la perception.

Le jeu en tant que modèle de simulation anticipe par investigations successives sur les situations réelles dans le champ des possibles. Il développe des stratégies d'action. Il contribue à renouveler par leur reproduction ludique les rôles sociaux et les comportements. Il les modifie et en propose d'autres versions. Sous cette forme, l'art exerce directement son action sur la réalité sociale. Il lui oppose une représentation simulée qui a pour résultat, par juxtaposition, d'en révéler les imperfections. La culture ne se satisfait plus d'être uniquement un élément de loisir, elle s'affirme comme une arme de combat.

Le jeu en tant qu'activité exercée librement, sans obligation, par plaisir, est au sens large du mot une des composantes la plus fondamentale de toute manifestation artistique. Cela ne veut pas dire pour autant que l'art soit une occupation gratuite sans objectif déterminé. Il n'est pas seulement activité d'évasion orientée vers la fiction.

" Tout jeu, comme tout médium d'information, est une extension de l'individu ou du groupe. Son effet sur le groupe ou l'individu, est celui d'une reconfiguration des parties du groupe ou de l'individu qui ne sont pas étendues ou prolongées. Une oeuvre d'art n'a pas d'existence ou de fonction en dehors de ces effets sur les hommes qui l'observent. Et l'art, comme les jeux ou les arts populaires, et comme les médias de communication, a le pouvoir d'imposer ses propres postulats en plaçant la communauté humaine dans de nouvelles relations et de nouvelles attitudes.

" L'art comme les jeux est une traduction de l'expérience. Ce que nous avons déjà senti ou vu dans une certaine situation, nous le retrouvons subitement incarné dans un nouveau matériau ". (4)

Le concept, la réalisation, le déroulement, la finalité de nos actions visent par une méthodologie appropriée à mettre en relation des situations fictives avec des données du réel. La fiction est présentée au monde réel comme une " autre réalité " possible où l'expérience vécue de la communication entre l'artiste et le spectateur se trouve enrichie. Le jeu, le rêve, l'imaginaire sont introduits dans la dimension du vécu. Une telle conception de l'art se heurte aux codes traditionnels et rend sa perception problématique. Dans le domaine des arts plastiques, les oeuvres des siècles passés avaient souvent pour règles de reproduire une certaine " vraisemblance ". Cette vraisemblance était d'ailleurs le critère premier sur lequel se fondait leur reconnaissance. Chaque acte véritablement novateur rompt avec l'ordre établi. Si les innovations artistiques fondamentales se réfèrent toujours obligatoirement au répertoire des connaissances établies, elles se trouvent enrichies par l'apport novateur de chaque artiste.

Pour le grand public, l'irruption brutale dans le champ familier de l'art, d'idiomes nouveaux suscite toujours un phénomène naturel d'incompréhension et requiert un temps d'assimilation. Dans l'élargissement actuel des perspectives artistiques à des disciplines appartenant aux sciences humaines, l'expression personnelle tend à devenir la traduction d'un problème plus général dans ses implications politiques, sociales, psychologiques, philosophiques. Cette intégration des sciences humaines dans le contexte artistique des arts plastiques s'accompagne en même temps d'une diversification au niveau des techniques et d'emprunts aux genres littéraires (peinture narrative), comme au théâtre (happening), au cinéma (artvidéo) etc.

" A mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux milieux, les hommes se sont rendus compte que les arts sont des " contre milieux " ou des antidotes qui nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même... L'art vu comme contre-milieu ou antidote devient plus que jamais un moyen de former la perception et le jugement ". (5)

Pendant très longtemps, le discours sur l'art a consisté à discuter essentiellement du sexe des anges. Les choses commencent à changer. L'artiste commence à comprendre, aujourd'hui, dans sa pratique, que le " pouvoir " est lié à toute action humaine. Vouloir le nier au nom d'un idéalisme naïf revient à nier la réalité. Les hommes sont entourés de contraintes et disposent de quelques libertés. Le rapport entre les hommes est toujours conditionné par le jeu de pouvoir qui intervient constamment dans leurs relations. Il ne faut pas craindre de le reconnaître. Le pouvoir se manifeste à tous les niveaux dans les relations humaines. Le pouvoir est l'attribut de chaque acteur social. Chacun exerce un pouvoir, en même temps qu'il le subit. Chacun de nous est obligé de " composer " depuis sa plus tendre enfance avec son environnement. Chacun se voit contraint de mettre au point une stratégie de comportement consciente ou inconsciente, à l'intérieur du système dans lequel il agit. Le changement individuel et collectif nécessite le bouleversement de ce jeu. Il nécessite que chacun apprenne à récuser contraintes et libertés qui constituent son " champ d'action ". C'est parce qu'il prend en compte ces données que l'Art Sociologique s'est voulu un " art des actes ". Même dans les systèmes sociaux les plus contrôlés, il y a toujours une marge de manoeuvre dans laquelle l'individu, ou la minorité arrive à se glisser. Donc un espoir. Dans le rapport des forces, le plus faible n'est jamais entièrement démuni. Il a toujours moyen de retourner la situation à son avantage s'il trouve le point d'application juste où faire travailler le levier. La notion de " jeu " et de " stratégie " est étroitement liée à la conduite sociale. Elle a pour limite, bien sûr, celle des pouvoirs adverses mais aussi celle de notre propre imagination qu'il faut exercer, qu'il faut développer, qu'il faut aiguiser. L'artiste devient à son tour un " opérateur social ". Il devient un acteur social. La démultiplication du pouvoir, son incitation et son détournement sous une forme ludique, appartiennent au champ de l'art. L'artiste responsable connaît ce pouvoir, son pouvoir, et le confronte au monde qui l'entoure.

ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION, NOUVELLES SENSIBILITES ET NOTION DE RELATION

Les techniques électriques, électroniques, informatiques nous ont introduits désormais dans la société de communication. Ces techniques sont au coeur des changements intervenus dans la vie sociale depuis un siècle, modifiant notre environnement physique, mais aussi nos représentations mentales. Electricité, électronique et informatique fournissent aujourd'hui aux artistes de nouveaux instruments de création. Mais ce qui est sans doute le plus important, c'est la transformation de notre environnement chaque jour un peu plus dans ce sens et notre rapport d'ajustement sans cesse en évolution avec une réalité mouvante. Ce qui exige une remise à jour permanente de nos perceptions pour appréhender le monde dans lequel nous vivons.

Dans ce registre, l'artiste a quelque chose à dire, quelque chose à faire. L'apparition successive au cours des âges, des techniques de transformation des matériaux, puis des techniques de maîtrise de l'énergie et maintenant des techniques de l'information a engagé l'être humain dans de successives et multiples formes d'expressions. La sensibilité contemporaine se trouve modelée à travers de multiples canaux par de multiples médias. Une certaine notion d' " art en soi ", qui prévalait précédemment, est remise en question. L'artiste d'aujourd'hui et plus précisément l'artiste de la communication, réintroduit dans sa fonction anthropologique originelle l'esthétique comme système de signes, de symboles et d'actions. Une nouvelle esthétique est en train de naître : l'Esthétique de la Communication.

Le mot artiste, lui-même, nécessite des ajustements dans une société en mutation. Les rôles, les moyens, la sensibilité qu'il désignent évoluent. Ce mot doit être débarrassé de connotations idéologiques qui le lient encore dans notre esprit à une vision romantique et anachronique de l'art. S'il y a eu toujours un décalage au niveau politique et éducatif entre la " culture acquise " et la " culture qui se crée ", celui-ci ne fut peut-être jamais aussi marqué que dans l'époque que nous vivons à l'ère de l'ordinateur et de la télévision. Saisi de vertige et d'angoisse devant un monde dont il ne maîtrise pas le changement, l'homme a tendance à se réfugier dans le passé.

L'artiste refuse ce repliement. Il assume le présent, s'efforce d'en explorer les possibles.

L'artiste est aussi un homme et un témoin engagé dans l'aventure d'une époque. Il ne peut ignorer, il ne peut échapper aux transformations radicales qui la secouent. Sa qualité d'artiste le place devant la nécessité impérative d'en saisir le " sens " et d'en formuler les " langages ". Son propos n'est pas, bien sûr, de défier l'homme de sciences et des techniques sur ses propres terrains.

Cela serait naïf et stupide. Son propos, d'une façon plus modeste, consiste plutôt à utiliser, voire à détourner, les nouveaux instruments de connaissance et d'action pour tenter d'élargir les horizons de notre perception, de notre sensibilité, de notre conscience afin de renouveler nos codes, notre façon de voir, de sentir, de comprendre. Par là même, de participer aux remises à jour indispensables qui permettent à l'individu de situer sa place, ici et maintenant, dans le monde. Certes, l'entreprise n'est pas de toute facilité.

" Si pour l'artiste, sa tentative est de communiquer à propos des éléments inconscients de sa performance, il se trouvera alors sur une sorte d'escalier roulant dont il essaierait de communiquer la position, mais dont la vitesse de mouvement sera elle-même en fonction de ses efforts pour la communiquer. Apparemment, sa tâche est impossible, mais comme on le sait, certains y parviennent fort bien " (6).

La notion de relation joue un rôle de plus en plus important dans les courants de la pensée contemporaine. La sociologie contemporaine dans son ensemble fait une large place à la notion de relation lorsqu'elle analyse la société comme une totalité, comme un système complexe de relations et d'interactions et non plus comme un corps isolé et inerte.

L'idée de relation n'est cependant pas seulement présente à l'intérieur de chaque science, elle est également au centre d'une interrogation portant sur l'ensemble des sciences, et, au delà des sciences, elle interroge la vie elle-même. L'individu est pris dans un réseau serré et complexe d'interdépendances formant la boucle d'un continuum où rien n'est étranger à rien ! Cette idée a pris, à l'heure actuelle, dans diverses sciences et elle imprègne notre sensibilité. L'art ne saurait rester tenu en dehors du concept de systémique. L'idée de relation et de communication marque notre époque. Des champs de recherche tels que la cybernétique, la théorie de l'information, la théorie des jeux, la théorie de la décision, sont naturellement liés aux préoccupations des artistes particulièrement attentifs et réceptifs aux " ondes " de leur époque.

Si les concepts de " totalité, de somme, de mécanisation, de centralisation, d'ordre hiérarchique, d'état stationnaire stable, d'équifinalité " (7) ... se retrouvent dans différents domaines de la science naturelle et aussi bien en psychologie qu'en sociologie, pourquoi ne se retrouveraient-ils pas sous une forme ou sous une autre, transposables dans le domaine des arts. Replacer l'art, aujourd'hui, dans les systèmes situés aux divers niveaux d'organisation de la réalité, en faisant sauter les cloisonnements disciplinaires, me paraît une tâche nécessaire et à la fois inévitable. L'artiste, dans notre société, habite une multiplicité d'espaces et de temps spécifiques. Sa vie et son activité sont faites d'un réseau complexe où tout circule en tous sens sur des schémas de connexions diversifiées.

Aujourd'hui, ce sont ces connexions qu'il devra exprimer. Aussi, la vitesse, la nature, le rythme, les flux, les données qui le traversent, qui nous traversent, avant que de se préoccuper de " contenus ". Pas toujours reconnu comme une valeur première dans notre société utilitaire, l'art a aussi ses droits et ses exigences, au même titre que les sciences, les technologies, la politique. S'il me paraît nécessaire de développer quelques considérations sur les rapports qui lient l'art à son entrée dans une société informatisée, mon propos ne sera pas de traiter de problèmes particuliers comme ceux, par exemple, de l'image numérique avec ses incidences sur la création, la fabrication, la production et l'économie qui en relève, mais de rester à un plan plus général, plus philosophique en quelque sorte. Il me paraît nécessaire d'insister sur des effets relationnels dont ont n'a pas encore toujours conscience et dont le monde des arts va se trouver directement atteint.

Après avoir vécu dans des sociétés de production, nous voilà maintenant introduits dans la société de communication. Certes, si l'électricité et l'informatique aujourd'hui fournissent déjà aux artistes de nouveaux instruments de création, il faut remarquer de la part du corps social une grande résistance à tout changement. Résistance sensible dans les circuits spécialisés de l'art et ses institutions où sévissent des mentalités qui datent souvent d'un autre siècle.

Quelques artistes, en dehors du marché, n'en poursuivent pas moins avec obstination une recherche fondamentale malgré des modes artistiques rétro qui prônent un retour inconditionnel à la peinture.

En privilégiant le pigment pictural, le marché de l'art actuel répond uniquement à des impératifs économiques à court terme. Il faut bien des objets tangibles pour alimenter le commerce de l'art. Les circuits marchands de l'art n'ont pas trouvé encore d'astuces pour intégrer d'autres types d'information que tangibles et matérialisées à leur marchandise capitalisable.

Si l'information boursière téléphonée est déjà devenue pour les agents de change un " objet " économique en soi, au même titre d'ailleurs que certaines communications érotiques tarifées pour quinze minutes (8), le poète, et a fortiori le peintre, auront beaucoup de mal à monnayer leur production sous cette forme... Cela tient au fait que l'art, contrairement aux sciences appliquées et aux pratiques économiques, n'a pas de point d'application réel dans la vie sociale et quotidienne. Il accuse donc du retard! Il est considéré, hélas, la plupart du temps, comme pur " ornement ". La " pression " de notre environnement n'est pourtant pas sans incidences sur le type même et la nature de la production artistique. Malgré la lenteur d'adaptation des circuits de diffusion et de consommation de l'art, une évolution notable s'est manifestée. Différentes étapes ont été franchies, nous faisant passer successivement de l'esthétique de l'image à l'esthétique de l'objet, puis à l'esthétique du geste et de l'événement (happening). Cette trajectoire témoigne d'une lente " dématérialisation et désintégration " de l'objet d'art (9).

Dans la pratique de l'Art Sociologique dont j'ai proposé les actions dès 1967 et les premiers principes en 1969 (10), le concept de communication constituait déjà le noyau central. J'ai toujours considéré le terrain de l'activité sociale comme le champ qui pourrait être élargi et exploré à l'aide de nouvelles technologies de communication. Cette option déroute les tenants d'une conception esthétique figée qui ne sont pas en mesure de saisir l'articulation, pourtant évidente, entre ce type de pratique, le concept d'art, et le rapport avec une société en mutation. Nous sommes conduits à poser la question de savoir où se situent les frontières de l'art. Bien malin qui le dira. Il n'y a pas de frontière. L'art est une attitude, une façon de se positionner vis-à-vis des choses plus qu'une chose elle-même! Il y a une esthétique du comportement, une esthétique de gestion comme il y a une esthétique de l'objet. Il faudra maintenant compter avec une nouvelle catégorie: l'Esthétique de la Communication. Les supports de cette esthétique sont souvent immatériels, sa substance relève de matériaux impalpables qui appartiennent aux technologies de l'information. Information dont les signaux électriques tracent au dessus de nos têtes, dans le ciel, des configurations invisibles, fulgurantes et magiques.

ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION ET ETAT DE L ART DANS NOTRE SOCIETE

Le rôle de l'artiste, c'est de donner à sentir ce que les autres, dans le même moment, ne perçoivent pas encore. L'artiste de la communication va tenter de traduire la nouvelle réalité du monde dans un langage transposé dont il établira les codes. Dans un nouveau domaine d'expression qui échappe aux moyens plastiques traditionnels, il va se trouver confronté au réel problème des moyens d'intervention pour constituer un langage. Son langage. Il devra résoudre la difficulté de lisibilité des signes qu'il utilise dont l'alphabet n'est pas reconnu, ni le répertoire définitivement fixé. L'histoire de l'Art nous apprend que toute tentative d'introduction de nouveaux signes s'accompagne toujours d'une forte odeur de scandale. Dada et les premières manifestations néo-Dada des années 60 ont dû jouer sur la transgression des interdits et sur l'introduction de nouveaux moyens d'action pour l'exploration de champs nouveaux. L'étendue des domaines embrassés et le caractère tout à fait étranger au domaine des signes plastiques sur lequel s'exercent désormais certaines pratiques conduisent les artistes à devoir inventer entièrement des langages pour un type d'expression autre. Ce sont de nouvelles formes d'art qui doivent s'inventer aujourd'hui pour être en adéquation avec la sensibilité contemporaine.

En s'en tenant presque exclusivement à la manipulation du pigment pictural, le plus grand nombre des artistes actuels font preuve d'une étonnante passivité devant la variété des supports nouveaux et les situations que leur procure la vie contemporaine. Ils semblent se contenter des voies déjà toutes tracées que leur offre une tradition sans surprise et les conventions du milieu. Peut-on imaginer cette même passivité chez Picasso qui aurait connu dès sa jeunesse les satellites, la vidéo et la télématique ? Ce maintien étroit sur des domaines parfaitement délimités, et largement explorés par ailleurs, constitue une attitude surprenante. Une attitude qui s'accorde mal avec l'idée de recherche, l'idée d'expérimentation, l'idée d'aventure et de découverte qui se manifeste dans d'autres secteurs de l'activité humaine. Des secteurs qui font preuve d'esprit de renouvellement, où les rythmes de changement au contraire ne cessent de s'accélérer. Un tel phénomène mérite toute notre attention. Il constitue à mes yeux une situation sociologique très particulière qui exige élucidation. Je ne me souviens pas que cette situation ait suscité et nourri les commentaires et les réflexions de quelque commentateur de bon sens. Tout le monde semble chloroformé dans ce milieu. Je voudrais bien comprendre le pourquoi d'un tel décalage avec l'esprit du temps. Cette trompeuse stabilité, cet étonnant conformisme des créateurs, cet immobilisme des arts plastiques me donnent le vertige. La situation dénote d'une grande emprise du pouvoir marchand sur les contenus eux-mêmes de la création par une manipulation subtile du marché. L'extrême confidentialité du circuit qui fonctionne en vase clos rend possible ce conditionnement car les centres de décision se répartissent entre un nombre très restreint d'individus. La peinture en est réduite aux épigones de l'expressionnisme. Les derniers produits de la " Transavanguardia " ou de la " Badpainting " que l'on s'est efforcé de nous présenter comme des " révolutions " picturales de première importance dans le domaine de l'art nous paraissent bien dérisoires en regard des innovations et des bouleversements qui marquent notre époque dans d'autres domaines. L'esprit de création souffle aujourd'hui ailleurs; et c'est dans cet ailleurs que se repère le monde qui nous est sensible, que se forge l'esthétique qui sera l'esthétique de notre temps. De la physique moderne aux techniques de l'exploration spatiale, en passant par la biologie, la génétique, l'intelligence artificielle, l'informatique, le développement des communications et la pensée écologique, c'est là, sans aucun doute, que réside la sensibilité moderne bien plus que dans les productions conditionnées de l'art.

Nous posons encore la question : pourquoi se passe-t-il si peu de choses dans la sphère de l'art contemporain et le micro-milieu des arts plastiques alors que tout bouge autour de nous ? Que tout bouge autour de nous et que se préparent, comme mille signes l'annoncent, une nouvelle science, une nouvelle société, une nouvelle culture ?

La création produite et reconnue à l'heure actuelle n'est manifestement pas le reflet de notre sensibilité moderne.

Ce qui se fait de véritablement novateur n'est pas encore pris en compte par les circuits institués de l'art. Cela tient aussi au fait que pour des raisons économiques et parce qu'il n'a pas accès à des technologies sophistiquées et onéreuses, l'artiste est tenu en marge des instruments de la création actuelle. Il en est toujours réduit, de quelque manière, à une pratique artisanale! Il est totalement tributaire d'un milieu et de circuits dont la préoccupation majeure, pour ne pas dire unique, reste le profit à court terme. D'entrée de jeu, il se voit dans l'obligation impérative de positionner sa sensibilité et son expression dans un registre déterminé par les conditions idéologiques et économiques imposées par ses commanditaires qui sont aussi ses " inventeurs ". Contrairement aux chercheurs des disciplines scientifiques, il ne bénéficie pas d'un statut qui lui donne les moyens de sa création. Si notre société tolère les artistes à la rigueur, elle ne reconnaît pas encore leur fonction comme une fonction nécessaire à la collectivité, à son équilibre, à son épanouissement, à son devenir. Le problème est bien un problème de valeurs.

Je ne conteste nullement que certaines formes de sensible puissent transiter aujourd'hui par les circuits institués de l'art. Mes réserves portent sur l'adéquation entre ces productions et la sensibilité spécifique de notre époque. Nous constatons que de tels produits fabriqués par l'artiste, promotionnés par les musées, commercialisés par les galeries, réussissent sous forme de tableaux ou d'objets à convertir la sensibilité en marchandise. Pour entrer dans le circuit, ces oeuvres doivent nécessairement répondre à certaines conditions: elles doivent pouvoir se regarder, se toucher, s'accrocher sur un mur ou se poser sur un socle, s'échanger ou se vendre à tout moment. Dans le circuit de l'art d'aujourd'hui, est reconnu comme art, et par extension dans notre société, uniquement des objets qui répondent à ces critères. La " Performance " ou la " Vidéo " jouissent d'un statut plus flou et aussi plus précaire. Bien souvent, elles ne sont reconnues finalement que comme faire-valoir à des produits de première catégorie.

Il y a antinomie irréductible entre les exigences économiques et l'expression d'une sensibilité qui ne peut se virtualiser par des objets. Les tableaux, les sculptures, les objets divers d'art, présentent certaines propriétés qui en facilitent le commerce. Par contre, la nature même de leurs supports est impropre à traduire le monde sensible d'aujourd'hui. Cela tient au fait incontournable que leur structure matérielle constitue une frontière infranchissable qui limite irréductiblement la capacité d'expression, notamment pour restituer des formes de sensible relevant de l'Esthétique de la Communication. Le support d'expression détermine inévitablement le contenu de l'expression. En conséquence de quoi nous affirmons que le médium peinture-tableau est impropre à traduire cette sensibilité spécifiquement contemporaine. Nous avons vu précédemment comment l'artiste plasticien se trouve enfermé dans des contradictions inconciliables entre le fonctionnement du marché et sa vocation naturelle à faire reconnaître le sensible d'aujourd'hui. Le fonctionnement du marché ne soulève pas seulement une question d'ordre économique. Ce qui est plus grave, c'est qu'il fonde et régit également le système de reconnaissance et de valeurs de notre société.

Force est de constater, en fonction des raisons qui viennent d'être évoquées ici, que la création produite et reconnue à l'heure actuelle n'est pas, dans son ensemble, le reflet d'une " sensibilité moderne ". Cette sensibilité pourtant est partout présente autour de nous, elle imprègne notre quotidien, elle guide nos actes. La situation qui domine dans les arts plastiques témoigne plutôt à travers les produits qu'elle génère, puis qu'elle légitime, d'une sensibilité de savoir appartenant à une culture du passé qui s'éteint doucement.

De ce point de vue, le domaine des arts est en retard sur d'autres secteurs de la pensée et de l'activité humaine où l'on oeuvre déjà sur des concepts, des bases, des données qui sont partie intégrantes d'un nouveau présent. Dans un contexte où la peinture n'était devenue qu'un jeu tautologique stérile de références, il n'est pas étonnant que l'on ait crié au génie devant les premiers venus qui avaient le culot de cultiver la maladresse et d'exalter une spontanéité de circonstance. Mais là encore, rien ne restitue la sensibilité spécifique de notre époque d'une façon pertinente. Nous demeurons en vase clos. Je m'étonne que cette situation paradoxale dans laquelle se trouve la création plastique actuelle n'ait pas fait l'objet de la réflexion avisée de ceux dont c'est pourtant profession de réfléchir sur l'art. Au contraire, cette situation s'avère complaisamment entretenue par une cohorte de critiques et d'universitaires. Je ne crois pas qu'il soit un autre domaine des arts, littérature, théâtre, architecture, cinéma, qui soit si caricaturalement coupé de la réalité de notre temps.

L'absurde règne en maître. Pas un enfant n'est là pour proclamer que "le roi est nu ". La multi-nationale culturelle tourne apparemment satisfaite de son ronronnement, et de ses profits, les artistes font le forcing pour produire une marchandise et un matériel inadaptés aux exigences de notre sensibilité moderne dont la promotion est assurée à grands frais par les musées. Des musées qui multiplient les expositions pour la plus grande satisfaction des dix mille personnes dans le monde qui se sentent concernées. Dix mille personnes, ça ne fait jamais, (même si elles sont de qualité...), la " sensibilité d'une époque ". Rien n'est jamais définitivement joué : trois galeristes et un critique décident, comme d'habitude, de quoi sera fait l'art de demain. L'investissement est décidé par un échange de télex qui transite par Bâle, New-York et Milan... Ca y est, le monde de l'art s'y met, il rentre enfin dans l'Esthétique de la Communication!

ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION, PARTICIPATION, INTERACTIVITE ET SYSTEMES ARTISTIQUES

Dans les systèmes rétroactifs et d'échanges mis en oeuvre par les artistes de la communication, il faut signaler la notion de participation du public qui prendra à mon avis dans le futur une importance grandissante. Cela, pas du tout, comme on l'avait d'abord imaginé dans les années 70, sous forme d'une relation collective et nécessairement physique. Types d'actions nourries de bonnes intentions qui basculaient vite dans des contextes d'animation sociale dont certains artistes ne sont jamais revenus... Je pense à des formes de participations plus élaborées. Des formes de participations s'effectuant à travers des structures multi-média d'échanges d'informations mises en place par l'artiste présent comme concepteur du dispositif et éventuellement comme acteur-animateur du réseau constitué. La notion de feed-back et de rétroactivité avancée par la cybernétique a déjà trouvé des applications en quittant le domaine des sciences pour rejoindre nos pratiques les plus courantes de la vie quotidienne. Ce sont de telles pratiques qui finalement alimentent notre sensibilité d'aujourd'hui et contribuent à la former. Cette sensibilité moderne tellement absente, à notre sens, de la scène opérationnelle des arts plastiques.

" La mise en forme traditionnelle est abolie. Une tendance se manifeste vers une culture plus globale, où la distinction entre les catégories de la science et la catégorie artistique de la créativité perd son sens. Une nouvelle définition de ces relations triangulaires suscitent nécessairement une nouvelle pensée esthétique... C'est un nouvel art qui est en train de naître, fondé sur les aspirations et les besoins créatifs de l'homme et qui, par conséquent, englobe son environnement : c'est un art qui permet de dépasser le stade de l'art conceptuel comme celui de propagande... Malgré la diversité de ses origines et de ses modes d'apparition, l'art d'environnement présente une unité d'orientation. Il tend implicitement à une dimension plus large, qui serait celle d'un " espace sociologique " authentique, une aire privilégiée d'investigation " (11).

Cet espace sociologique évoqué par Frank Popper est un espace que les protagonistes de l'Art Sociologique se sont employés à explorer et à ratisser dès les années 1967 (12) et d'une façon continue à partir de 1974 sous l'impulsion des membres du Collectif Art Sociologique. Cette notion d'espace était liée il y a encore quelques années à l'idée d'une représentation physique circonscrite géographiquement. La multiplication des médias de toutes sortes et leur usage généralisé nous induisent aujourd'hui à un concept plus " abstrait " de cet espace. C'est l'espace de " rencontre " sur le support de communication. C'est l'espace de la communication sociale créé par tous ces supports technologiques superposés à notre espace physique. Idée d'un immense réseau au maillage serré constitué par un filet invisible où transitent nos messages, s'échangent nos émotions. Filet où se nouent de nouveaux types de relations entre les êtres humains, nous offrant une " réalité " supplémentaire. Espace de médiatisation qui de plus en plus s'impose comme un terrain nouveau et privilégié de nos relations. Surface de dialogue arraché au néant par les technologies de communication comme les polders l'étaient sur la mer. Champ privilégié de l'interactivité. C'est la notion même d'environnement qui tend maintenant à se " dématérialiser " et à apparaître comme un terrain de " tangibilisation " de nos relations par l'information. Cette forme plus abstraite de notre environnement n'en reste pas moins très réelle dans nos représentations comme dans notre vécu. Le seul nom d'environnement avait tendance à nous renvoyer exclusivement à une perception physique de ce qui nous entoure. Notamment à l'architecture. Aujourd'hui, cette notion évolue et la notion d'espace est associée de plus en plus dans nos représentations à l'idée d'environnement informationnel.

ARCHITECTES ET ARCHITECTURE DE L' INFORMATION

Les artistes ont de quoi défricher dans cet espace encore vierge pour eux. Il leur reste à contribuer par leur pratique, leur réflexion et leur imagination à la mise en place des premières bases d'un art fondé sur la communication. Un art de la communication irrigant les réseaux du flux des données de l'imaginaire. L'artiste de la communication utilise le téléphone, la vidéo, le télex, l'ordinateur, le photocopieur, la radio, la télévision... Il ne se contente pas de les utiliser un à un, séparément. Il les organise en systèmes et en dispositifs. C'est là, désormais, que se trouve mise en jeu sa capacité de créer et d'inventer. Il compose des configurations données, des réseaux plus ou moins complexes dans lesquels il positionne des moyens d'émission, des moyens de réception multi-média qu'il organise en systèmes interactifs. Il anime ces systèmes. L'artiste de la communication devient une sorte d'architecte en informations. Il envisage des processus dans une relation interactive de participation avec des partenaires interchangeables.

Des " figures " ou des " architectures d'informations " se font et se défont qui peuvent, aussi, à un moment donné, faire l'objet d'une " photographie " qui les fige et les arrête. Les points d'appui de son réseau ne sont pas des points fixes uniquement techniques ou formels ; il sont ancrés et directement branchés sur le tissu social. Les techniques d'information facilitent les interférences entre des secteurs cloisonnés. L'artiste peut espérer pour la première fois se manifester maintenant dans d'autres champs que ceux qui lui étaient autrefois impartis limitativement. Il est très probable que cette idée force de " mise en relation " qui marque la pensée et les pratiques de notre époque gagne aussi la préoccupation des artistes et apparaisse dans leur création d'une façon de plus en plus significative dans les années à venir.

La surmultiplication des médias visuels et leur inflation expansive productrice d'images contribuent paradoxalement, sinon à la disparition de l'image et de son esthétique, du moins à sa dévaluation. C'est ainsi que peut s'expliquer un déplacement vers de nouveaux comportements perceptuels latents dans la société que l'artiste de la communication va s'efforcer d'intégrer au champ de l'art et d'organiser dans le cadre nouveau de l'Esthétique de la Communication qu'il propose.

" Et quand l'image eut envahi le monde jusqu'à le sursaturer, ceux qui avaient la fonction de produire des images les plus signifiantes et les plus riches n'ont d'autres alternatives que de disparaître ou de déplacer le champ de leur pratique. C'est ce qui explique que les créateurs d'aujourd'hui aient moins besoin de produire de nouvelles images que de savoir qu'en faire, en interrogeant leur pouvoir de communication et de relation. A ce stade du développement culturel, l'oeuvre d'art ne peut que changer de fonction. Désormais, elle doit moins véhiculer une conception ou une idéologie qui lui est extérieure qu'imposer une interrogation sur son statut, de ses composantes et de son pouvoir relationnel. Quand les médias ont sorti l'image de l'exemplarité des modèles des muses, les artistes ne peuvent plus que faire son procès, la relativiser... La question du relationnel dans l'art va donc se poser autrement... " (13).

La conception de l'oeuvre conçue comme structure ouverte d'Umberto Eco (14), introduisait, déjà, les notions de système, d'aléatoire, d'implication du spectateur dans le processus de communication proposé par l'artiste.

Dans le nouveau rôle que s'attribue l'artiste de la communication, il ne se présente plus comme un " fabricateur " d'un objet matériel, mais fonde sa démarche sur la relation particulière, spécifique et originale, qu'il établit entre lui-même, le (les) spectateur (s) et l'environnement. Il faut insister, ici, par souci de clarification sur le fait que cette démarche ne saurait être assimilée à des types de création relevant de l'art conceptuel. Certes, l'artiste de la communication s'appuie, aussi, sur une idée singulière, mais celle-ci n'est pas offerte en tant que telle pour sa " beauté " pour ainsi dire abstraite dans une mise en scène formelle qui s'adresserait uniquement au destinataire bien ciblé du musée ou de la galerie. Les oeuvres qui relèvent de la sphère de communication et qui se réclament de son esthétique, donnent lieu à la mise en place opératoire et concrète d'un système fonctionnel matérialisé, même si, réparti dans un espace extensible, l'ensemble du système n'est pas préhensible dans sa totalité à première vue.

L'observateur pourra toujours constater la présence de certains éléments (physiques), signes (visuels et auditifs) qui l'introduiront par projection mentale à reconstituer la vision globale. Représentation de la position et disposition les uns par rapport aux autres de ses différents éléments dans un espace qui a lui-même ses différents niveaux de réalité (espace géographique, spatial, social, communicationnel). Représentation du flux des informations et de leur configuration dans les mouvements qui l'animent.

En proposant des systèmes de communication comme " oeuvres " à saisir dans leurs fonctions et leurs mouvements, l'artiste de la communication prétend tout simplement modifier nos habitudes de perception, prétend incider sur nos comportements perceptifs et sur l'interprétation même de l'art.

" Les psychologues transactionnels ont démontré que la perception n'est pas passive, mais apprise et en fait hautement structurée. Elle constitue une véritable transaction à laquelle le monde et celui qui le perçoit participent tous deux. Une peinture ou une gravure doit donc être conforme à la Weltanschauung de la culture à laquelle elle fait adresse et aux structures perceptuelles de l'artiste au moment de la création de l'oeuvre. Les artistes savent bien que la perception est une transaction et en fait ils considèrent cela comme évident. L'artiste est à la fois un observateur et un communicateur. Sa réussite dépend en partie de sa capacité à analyser et organiser les données perceptuelles en des formes significatives pour son public " (15).

Désormais, concepteur de système d'échange d'information qu'il réalise et anime dans l'espace social de communication, l'artiste change de statut.

Hier, d'une façon artisanale mais quelquefois aussi industrielle, il " fabriquait " des objets. Aujourd'hui, l'art se dématérialise définitivement: il " produit du service ". Cette évolution s'accorde parfaitement à la courbe d'une évolution de la société qui l'a conduit en quelques décades d'une société de production à une société d'échanges. L'art pratiqué par l'artiste de la communication est un art d'organisation, un art qui désormais est plus attentif aux fonctions qu'aux objets.

Nous signalons les apparitions successives dans l'histoire de l'humanité des techniques de transformation des matériaux, des techniques de l'énergie, aujourd'hui des techniques de l'information. Ces différentes étapes sans conteste possible ont conditionné la nature de certaines formes d'art à un moment donné et continueront de les conditionner. La plus récente, la technique de l'information, ne produit plus d'objets mais des informations. Des informations organisées en messages et des situations " communicationnelles ". L'art devient émission, réception, agencement, détournement d'informations et de messages. De ce fait, il jette les bases de la nouvelle Esthétique de la Communication et constitue une réflexion sur la nature, la circulation et la mise en représentation des messages dans la communications sociale de notre temps.

L'évolution des sociétés avancées, avec leurs technologies avancées, a fait apparaître un mouvement de conversion continu vers le secteur tertiaire opposé aux tâches de transformation de la matière. Pour quelles raisons l'art échapperait-il à cette évolution qui affecte tous les autres secteurs de la société ? Par quel miracle ou quelle aberration mystérieuse échapperait-il aux sollicitations sociologiques, aux impératifs technologiques imposés par le contexte ? Les sociologues ont constaté que dans nos sociétés, plus de la moitié des actes des individus est consacrée à la communication et non plus à la transformation ou au transport de la matière... Dès l'instant où la population d'un pays donne une heure sur deux de son temps à la communication, il doit bien avoir dans la population de son pays une sensibilité correspondant à cette activité qui naît quelque part... C'est dans cette situation que se développe ce nouveau concept d' Esthétique de la Communication qui a toutes les chances de s'imposer demain à la conscience de nos contemporains après avoir marqué leur sensibilité.

ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION ET PHENOMENOLOGIE DE L'IMAGINAIRE CONTEMPORAIN

En centrant sa réflexion sur la communication et les systèmes d'échange, la recherche que j'esquisse ici comme prolongement de l'Art Sociologique suggère les bases d'une théorie qui reste à fonder.

Explorer et activer l'univers des médias de communication signifie en même temps construire la phénoménologie de l'imaginaire contemporain.

C'était le propos même de l'action " La Bourse de l'imaginaire - La Bourse du fait divers " réalisée au Centre Georges Pompidou en 1982 et de cette action " Düsseldorf Presse -Agentur (imaginär inc!) " que je prépare actuellement. Il faut admettre, une fois pour toutes, que l'histoire et la genèse des configurations de l'imaginaire sont inscrites d'une façon indélébile dans les " technologies " dont notre perception est strictement dépendante. Aujourd'hui, donc, inscrites dans les " technologies " de communication. Comme nous l'avons déjà souligné le support n'est jamais neutre. Les lions de Trafalgar Square auraient été des aigles ou des bouledogues, ils n'en auraient pas moins transmis le même message (ou message analogue) relatif à l'Empire et aux prémisses culturelles de l'Angleterre du XIXe siècle. Cependant comme le message aurait été différent si les lions avaient été en bois ! " (16).

CIRCULATION DES MESSAGES

Le message de l'artiste n'est pas seulement subordonné au médium qui le véhicule; il est également dépendant du système d'échanges ou médium social dans lequel il circule. C'est pourquoi nos actions s'efforcent de faire circuler ces " messages ", non seulement dans le " système d'art " mais les introduisent dans tous les canaux de communication praticables, dans tous les systèmes de communication sociale possibles... Cherchant les points d'intersection où les systèmes se recoupent pour créer des " effets de sens " par télescopage.

" Etre en face d'une " oeuvre d'art " dans l'organisation du sens produit par les marchands, le musée, le collectionneur, c'est donc essentiellement et surtout, être en face du système d'échange et de sens qui la soutient. Par système de sens, il faut entendre aussi tous les systèmes réflexifs dans lesquels l'existence de chaque élément se trouve justifiée et légitimée uniquement par l'existence des autres éléments du système sans que, d'aucune manière, soit justifiée et légitimée la signification du système dans son ensemble, ni dans ses éléments particuliers. C'est bien pour cela, qu'une fois admise la fonction constituante et dissolvante effectuée par le média et par le système d'art dans son rapport au message artistique, l'artiste détache alors complètement son intérêt des messages, pour le reporter justement sur les techniques et les mécanismes sociaux qui le génèrent. Ce qui veut dire qu'au lieu de s'attarder encore sur les informations et les significations comme a fait, ou a cru faire, la recherche artistique jusqu'à ce jour, l'artiste se trouve maintenant en position de devoir thématiser, investir et représenter une communication sans information et des systèmes de sens sans signification. Le problème abordé ici ne concerne pas seulement la production artistique, mais l'univers entier de la communication ainsi que la totalité des systèmes d'échange. Tout, en effet, peut être sujet à une investigation et à un traitement de caractère esthétique: le lieu de la pertinence d'une recherche esthétique s'élargit considérablement, désormais, et se propage aux médias technologiques comme aux médias sociaux. Le Collectif d'Art Sociologique ainsi que certains représentants de l'Art Conceptuel, voire de la Post-Avant-Garde, ont déjà travaillé, d'une certaine manière, sur des données relatives à la communication et aux systèmes " (17).

Après les rôles d'activation et de conscientisation qui ont toujours été des axes fondamentaux de l'Art Sociologique, il me semble, sans abandonner la pratique sociale, que l'art devrait maintenant s'attaquer plus résolument aux problèmes de " communication " et s'attacher à mettre en évidence les aspects formels et fonctionnels qui lui sont inhérents.

En dehors de ma participation ponctuelle au sein du Collectif d'Art Sociologique entre 1974 et 1979, une grande partie de mon activité personnelle a été consacrée depuis toujours à cette recherche.

PRATIQUE ARTISTIQUE DE LA COMMUNICATION, ESTHETIQUE DE LA COMMUNICATION ET PRODUCTION DE SENS

Par mes actions et interventions artistiques, par les dispositifs, signes et systèmes de signes que je mets en place, j'ai tenté (et je tente encore) de produire du sens. Cette production de sens, c'est je crois à la fois la raison d'être et la justification de toute activité artistique. Cette production s'est manifestée (et se manifeste encore) par la confection d'un certain nombre de " messages ". La nature, la substance et la consistance de ces messages est très complexe, du fait de leur hétérogénéité. Quelquefois, le message est constitué par l'action globale, quelquefois par certains de ses développements particuliers, quelquefois encore par des facteurs extérieurs à mon propos qui s'y trouvent automatiquement intégrés.

Une chose est sûre: il s'agit, dans chaque cas, pour moi, d'élaborer un métalangage (quels qu'en soient le médium et la forme utilisée) qui se plaque sur le discours dominant de la communication, pour mettre en oeuvre une pratique de brouillage, de détournement des codes dominants de la communication, ou de perturbation de champs spécialisés de cette communication. Cette pratique passe nécessairement par l'appropriation des moyens de transmission des messages, d'un travail sur le média, média par média, et sur le système de sens d'ensemble. En fait, mon but vise à créer, chez le destinataire plausible des états d'incertitude. Par exemple, en m'employant à faire passer dans les mass-médias des messages structurés de telle sorte qu'ils se contredisent (ou contredisent les messages avoisinants par contiguïté dans l'espace ou dans le temps) pour engendrer une rupture, un paradoxe, un questionnement. Chacune de ces situations de communication provoquée incitant les destinataires touchés à rechercher un ordre, une structure qui aient un sens pour lui. Stimulant son imaginaire, appelant sa participation, voire sa complicité par la transgression délibérée du code que je lui propose.

 

Esthétique de la communication
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Biographie longue de Fred Forest

Fred Forest a une place à part dans l’art contemporain. Tant par sa personnalité que par ses pratiques de pionnier qui jalonnent son œuvre. Il est principalement connu aujourd’hui pour avoir pratiqué un à un la plupart des médias de communication qui sont apparus depuis une cinquantaine d’années. Il est co-fondateur de trois mouvements artistiques : ceux de l’art sociologique, de l’esthétique de la communication et d’une éthique dans l’art.

Il a représenté la France à la XIIème Biennale de São Paulo - Prix de la communication - en 1973, à la 37ème Biennale de Venise en 1976, à la Documenta 6 de Kassel en 1977 et a été exposé au CENTRE POMPIDOU en 2017 et 2024.

 

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